Pour rappel, Mme C. nous a contacté début 2015 par l’intermédiaire de Christiana Baptiste, thérapeute à l’Espace Femmes de Dinan. Elle était convoquée le 16 avril 2015 devant le Tribunal correctionnel d’Amiens en qualité de partie civile. Alors qu’elle n’avait aucune nouvelle de l’enquête suite à la plainte pour viol qu’elle avait déposé en janvier 2012, elle apprenait que l’agresseur était poursuivi par le procureur de la République pour….agressions sexuelles!
C’est ce que nous appelons une correctionnalisation « sèche », le procureur se passant de l’avis d’un.e juge d’instruction alors qu’il/elle est seul.e compétent.e pour faire une enquête en matière de viol qui est crime.
Nous avons soutenu Mme C. dans cette procédure, notamment en l’accompagnant au procès à Amiens.
Le viol dont elle a été victime
En août 2011, Mme C. est contrainte de loger dans un camping accompagnée de son fils de 8 ans, sa voiture étant immobilisée dans un garage. Pendant 3 jours, un voisin de parcelle, M.H., se montre omniprésent, il veut sans cesse discuter avec elle et son fils. Elle commence à avoir peur, notamment lorsqu’il lui demande si elle dort seule ou avec son fils.
Au milieu de la 3ème nuit, elle se réveille avec le poids de quelqu’un sur elle. M. H. est couché sur elle, il la maintient en lui mettant son bras sur le visage et lui ordonne de se taire, de ne pas crier. Il la viole.
Elle est tétanisée, dans la confusion du réveil et de la violence de M.H., elle ne parvient pas à analyser ce qu’il se passe. En outre, elle ne veut pas que son fils qui dort à côté soit témoin du viol de sa mère et tente de le préserver en ne criant pas fort.
M. H. finit par quitter la tente. En réalité le fils de Mme C. a tout entendu et est réveillé. Elle ne veut pas le laisser seul et ne se lave que le lendemain. Elle croise alors M. H. qui ose lui demander s’ils ont passé une bonne nuit. Elle change de camping.
Mme C. a déjà été victime de viols et d’agressions sexuelles à l’âge de 8 ans et de 14 ans. Elle avait déposé plainte mais il n’y a jamais eu de poursuites. Puis Mme C. a été victime d’un autre viol à l’âge de 18 ans pour lequel elle n’a pas porté plainte.
Elle a peu confiance en la justice. Elle se décide finalement à déposer plainte contre M. H. en janvier 2012.
M. H. condamné devant le Tribunal correctionnel d’Amiens le 16 avril 2015
Alors que l’agresseur a reconnu le viol lors de l’enquête, laissant présager une audience sans grandes difficultés, la matinée du 16 avril 2015 a été d’une violence inouïe contre la victime (pour un compte rendu exhaustif de cette audience, voir ici).
En effet, M. H. a changé de version depuis l’enquête et dément tout en bloc, parle juste d’un baiser et affirme avoir subi des pressions de la part des gendarmes pendant sa garde à vue.
Le président du Tribunal pose beaucoup de questions à Mme C., très précises sur le viol, sur les circonstances. Elle a du mal à répondre, très éprouvée mais aussi dans la confusion étant donné l’ancienneté des violences sexuelles.
Mais le pire était à venir puisque le procureur de la République a fait preuve d’une misogynie sans bornes :
– Pourquoi vous n’avez pas réagi ? Pourquoi vous n’avez pas crié ? Vous n’avez pas eu de réaction physique, vous êtes restée passive.
– Vous avez été victime plusieurs fois d’agressions sexuelles, vous savez ce que c’est, donc pourquoi vous n’avez pas porté plainte tout de suite ?
– Pourquoi vous avez attendu plusieurs heures avant d’aller vous laver ? Les femmes vont se laver en général immédiatement.
– Vous connaissez les procédures puisque vous avez déjà été victime et vous n’avez pas gardé de preuves, ni porter plainte tout de suite, vous pouvez accuser n’importe qui !
L’avocat de Mme C. avait dû interrompre le procureur en lui rappelant qu’il avait de la chance d’être un homme et surtout qu’il était évident qu’il n’était pas une femme.
Il avait requit la relaxe après avoir dit à Mme C. : « Vous savez, M. H. pourrait porter plainte contre vous pour dénonciation calomnieuse ».
Le Tribunal avait, heureusement, reconnu M. H. coupable d’agression sexuelle sur la personne de Mme C. et l’avait condamné à 18 mois d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis, l’inscription au fichier des délinquants sexuels et à verser à Mme C. 2000€ de dommages-intérêts, somme tout à fait dérisoire.
M.H. a fait appel. Convoquée une première fois le 25 mars 2016 devant la Cour d’appel d’Amiens, l’audience a été renvoyée et s’est finalement tenue le 10 octobre 2016.
Mme C. totalement traumatisée par la première audience, n’a dans un premier temps pas voulu se rendre à la Cour. Nous avons dû expliquer à Mme C. que son absence à la Cour d’appel pourrait lui être préjudiciable car avec la seule version de M. H., il n’est pas exclu qu’il puisse obtenir la relaxe, ce qui ne manquerait pas d’achever Mme C.
Mme C. voulait changer d’avocat et nous l’avons orientée vers Maître Cittadini, avocate spécialisée dans la défense des femmes victimes de violences sexuelles.
L’audience devant la Cour d’appel d’Amiens
Laure Ignace, militante de Prendre le droit était présente au procès aux côtés de Mme C., totalement angoissée.
Elle est convoquée à 13h30 mais son affaire ne sera appelée qu’après plusieurs autres, aux alentours de 16h. Trois hommes composent la Cour ce jour-là.
Au début de l’audience, c’est l’agresseur qui est interrogé et ce qu’il répond est globalement incompréhensible ou incohérent. Mme C. est ensuite appelée à la barre. Un florilège de stéréotypes, de sarcasmes et de mépris va s’abattre sur elle.
Un débat s’engage d’abord entre les 3 magistrats sur le point de savoir si elle portait un string ou un boxer cette nuit-là. Mme C. ne se rappelle plus, cinq ans après le viol… Les magistrats, très en connivence entre eux, rigolent.
Puis ils enchaînent l’un après l’autre :
- « Quelle a été votre réaction ? Vous avez crié ? » Alors qu’elle répond qu’elle ne sait plus : « mais vous avez déclaré que vous avez crié ! »
- « On sait bien que dans les cas d’agressions sexuelles dans la famille, les dépôts de plainte sont tardifs, mais là, c’était un inconnu…pourquoi avoir attendu six mois ?» Elle répond comme elle l’a toujours dit qu’elle avait déjà déposé plainte auparavant pour viols et que tout a toujours été classé sans suite ; « j’y croyais pas ».
- « Comment a-t-il enlevé votre pyjama ?» Mme C. perd ses moyens, tout se brouille, elle ne sait plus.
L’un des conseillers se montre compatissant avec Mme C. et souligne quand même que si le parquet avait fait ce que la loi lui impose, c’est-à-dire l’ouverture d’une instruction criminelle, il « n’aurait pas autant de questions à [lui] poser ».
Mais ça continue quand même :
- « Pourquoi vous n’avez pas déposé plainte plus tôt ?» Elle répète ce qu’elle a déjà dit, précise que c’est parce qu’elle a eu infections sur infections vaginales puis qu’elle a consulté une psychologue dans ce cadre à l’hôpital, qu’elle s’est décidée à porter plainte contre M. H.
- Un conseiller rappelle que Mme C. a eu pendant le séjour une aventure avec un certain Bastien et lui demande : « si c’est lui qui était entré dans la tente, vous auriez accepté ?» La réflexion sous-jacente pointe clairement ses mœurs…
L’avocate de Mme C. prend la parole pour tenter de la sortir de ce guêpier. Mme C. est en pleurs. Sur question de son avocate, elle relate qu’elle ne sort plus de chez elle depuis des années, qu’elle n’a plus de vie sociale, que les conséquences du viol sont très lourdes pour elle et ses enfants.
Enfin, les questions se terminent et Maître CITTADINI peut plaider. Elle commence par pointer la manière dont sa cliente, l’« éternellement coupable », est cuisinée. Elle explique le psycho-traumatisme qui entraîne la répétition des violences sexuelles dans la vie des femmes et les difficultés qu’elles ont à réagir à ces violences. Deux des trois magistrats se marrent en lisant un document pendant qu’elle plaide !
Elle reprend tous les éléments de la procédure, souligne que M. H. n’a changé de version qu’à partir du moment où il s’est retrouvé devant le Tribunal correctionnel alors qu’il a reconnu le viol tout le long de la procédure. Elle plaide aussi qu’il est contradictoire que le législateur fixe des délais de prescription (10 ans pour viol sur une personne majeure) si on reproche ensuite aux victimes de ne pas déposer plainte tout de suite.
Viennent ensuite les réquisitions de l’avocate générale :
« Je sais que ces infractions ont des conséquences terribles pour les personnes qui en sont victimes. Cependant, il faut un faisceau d’indices graves et concordants pour condamner les prévenus et là, le dossier a été très mal conduit par les gendarmes ».
Elle détaille tous les éléments qui sont en faveur de Mme C. : la constance de ses déclarations, les déclarations de Bastien (son amant durant le séjour) qui corroborent sa parole, son dossier médical…Elle se tourne vers Mme C. : « je suis convaincue qu’il y a bien eu un rapport sexuel, je ne pense pas que vous êtes une menteuse, je vous crois mais il nous faut plus d’éléments pour le condamner ». Elle s’interroge sur la conscience que M. H. avait de ses actes, notamment au regard de l’expertise psychiatrique faite durant l’enquête et qui l’a déclarée partiellement irresponsable.
« A la place que j’occupe, je requiers la relaxe » puis elle conseille à Mme C. d’être suivie par un psychologue !
Des réquisitions qui se voulaient pleines d’humanité en s’adressant directement à Mme C. que la procureure reconnaît victime d’une relation sexuelle non consentie, absence de consentement dont lui n’avait apparemment pas conscience ce qui n’est donc pas un viol !
Comme en 1ère instance, l’avocate de la défense s’est engouffrée dans les réquisitions de la procureure plaidant tour à tour qu’elle connait bien les difficultés traversées par les victimes de viols, que Mme C. n’est pas constante, qu’elle semble avoir revécu cette nuit-là toutes les agressions sexuelles qu’elle a subi dans sa vie et « qu’elle mélange tout ». Pour convaincre la Cour, elle énumère les viols dont Mme C. a été victime, la laissant en pleurs sur son banc. Elle demande évidemment la relaxe de son client et termine en disant qu’il n’a pas à payer pour tous les autres agresseurs…Comme si il était question de ça.
Sans surprise, le 28 novembre 2016, la Cour d’appel a relaxé M. H.
On se demande toujours pourquoi l’État français a renvoyé cet homme devant un Tribunal pour finir par un tel gâchis.
La seule personne qui s’est sentie coupable et jugée, c’est bien la victime.
Laure Ignace