Retour sur le procès Merienne

Quand la Justice française laisse un homme violer des enfants pendant plusieurs décennies

Le 13 novembre 2018, nous, militantes de l’association Prendre le droit, avons reçu un courriel de B. Elle souhaitait alors « avoir des informations et un soutien pour un procès aux assises ». En passe d’être convoquée comme témoin de violences sexuelles commises sur sa sœur par un voisin lorsqu’elles étaient toutes les deux enfants, elle appréhendait de témoigner devant la Cour d’assises.

Nous l’avons reçue, et au cours de l’entretien, l’avons entraînée à répondre de manière factuelle aux questions. Nous lui avons par ailleurs appris qu’elle pouvait se constituer partie civile, car en temps que témoin des violences sexuelles sur sa soeur, elle avait également été victime. Nous étions les premières à le lui dire et cela lui avait fait beaucoup de bien de l’entendre. Elle avait en effet eu toute sa vie les symptômes d’un stress post-traumatique.

Le procès a eu lieu du 13 au 29 novembre 2019 à la Cour d’appel de Rennes. Plusieurs militantes de Prendre le droit y ont assisté. L’accusé, âgé de 59 ans était poursuivi pour 5 viols et 13 agressions sexuelles sur mineur.es de moins de 15 ans.

Le 29 novembre, l’accusé, qui a tout avouer en cours de procès, a été condamné par la Cour d’assises à 21 ans de prison.

14 victimes dont certaines encore mineures ont témoigné pendant les trois semaines d’audience, très éprouvantes. Au-delà de l’horreur inspirée par les témoignages poignants des victimes de M., le dossier pénal révèle les manquements de la justice, qui n’a pas fait le lien entre les plaintes déposées contre cet homme par plusieurs victimes pendant 25 ans.

1992. Camille B., amie de la fille de l’agresseur, dépose plainte à Rennes pour agressions sexuelles.Elle a 7-8 ans au moment des faits. La plainte est classée sans suite. Les archives ont été détruites.On ne sait donc pas ce qui s’est dit à l’époque hormis le classement sans suite.

1997. Sandra C., voisine de l’agresseur, dépose plainte auprès du commissariat de police de Rennes pour agressions sexuelles. Elle a 9 ans au moment des faits. Sandra C. ajoute que M. a essayé de faire de même avec sa sœur aînée âgée de 12 ans. La plainte est classée sans suite. Et aucun lien n’est fait avec la plainte précédente.

2000. Sandra N., voisine de l’agresseur, dénonce des faits d’exhibition sexuelle, de corruption de mineure (visionnage de film pornographiques) et d’agression sexuelle au commissariat de Saint-Malo. Les faits qu’elle révèle sont en réalité des viols. Qu’est devenue cette plainte? Mystère. Au cours du procès de M. un policier explique que le dossier a été perdu entre Saint-Malo et Rennes. Toujours aucun lien avec les plaintes précédentes.

2005. Juliette V., voisine également, 15 ans, dépose plainte pour viol, à Rennes. Les faits se sont produits peu avant qu’elle dépose plainte. M. est poursuivi au tribunal correctionnel pour agression sexuelle (et non devant la Cour d’assises) et sera condamné en 2007 à 30 mois de prison avec sursis. Et pourtant, aucun lien n’est fait avec les plaintes précédentes.

2013. Clémence et Louise M., filles d’un couple d’ami.es de l’agresseur, dénoncent des faits d’agressions sexuelles et de visionnage de films pornographiques au commissariat de Laval. Les enfants ont 10 et 12 ans au moment des faits. Leur plainte est encore classée sans suite!

2015. Antoine B. se présente avec sa mère au commissariat de police de Rennes pour des agressions sexuelles commises sur lui en 2013, 2014 et 2015. Il a 11 ans au moment des premières agressions. M. était un vieil ami de la famille et il a agressé l’enfant hors présence parental chez lui et au domicile d’Antoine. Enfin, et pour la première fois une enquête approfondie est lancée.

Les auditions de l’entourage révèlent que M. a agressé d’autres enfants, et notamment la sœur d’Antoine. (6 ans au moment des faits), et ses cousins (7 ans, 9 ans, 10 ans au moment des faits).

Par la suite, l’enquête révèle que les deux filles de l’agresseur ont subi des viols et agressions sexuelles pendant plusieurs années et qu’il a également agressé une nièce et une amie de sa fille.

Ce sont les policiers qui lancent l’enquête suite à la plainte d’Antoine B. en 2015 qui mettront un terme à l’impunité judiciaire dont a pu bénéficier M pendant 25 ans, et révéleront les manquements flagrants du système judiciaire français.

Lors du procès, la représentante de l’Etat s’est excusée pour la perte du dossier de Sandra N. entre Rennes et Saint Malo. Elle n’a pas dit un mot à propos des classements sans suite, ni sur le silence opposé aux victimes pendant des années, à qui on n’a même pas signalé le classement sans suite de leurs plaintes. Le fait que les victimes aient réussi à parler, sans qu’ensuite la justice ne fasse rien, les a même sur-exposées puisqu’elles ont été jetées à la vindicte d’une partie de leur entourage,traitées de menteur.se.s dans leur quartier, et notamment sous la pression de l’épouse de M. qui n’a eu de cesse de le protéger.

Entre la première plainte déposée en 1992 et l’appréhension de M. en 2015, plus de 14 enfants ont été agressés. Jusqu’à quand la justice sera t-elle un rouage de l’impunité des hommes qui agressent sexuellement les enfants et les femmes ?

 

* les prénoms et initiales des victimes ont été modifiées

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