Le 28 novembre 2016, la Cour d’appel d’Amiens a relaxé M.H. pour l’agression sexuelle -­ en réalité un viol -­ commis sur Mme C. en août 2011.

Pour rappel, Mme C. nous a contacté début 2015 par l’intermédiaire de Christiana Baptiste, thérapeute à l’Espace Femmes de Dinan. Elle était convoquée le 16 avril 2015 devant le Tribunal correctionnel d’Amiens en qualité de partie civile. Alors qu’elle n’avait aucune nouvelle de l’enquête suite à la plainte pour viol qu’elle avait déposé en janvier 2012, elle apprenait que l’agresseur était poursuivi par le procureur de la République pour….agressions sexuelles!

C’est ce que nous appelons une correctionnalisation « sèche », le procureur se passant de l’avis d’un.e juge d’instruction alors qu’il/elle est seul.e compétent.e pour faire une enquête en matière de viol qui est crime.

Nous avons soutenu Mme C. dans cette procédure, notamment en l’accompagnant au procès à Amiens.

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Le 25 mars 2016, la CA d’Amiens examinera l’appel interjeté par MH contre sa condamnation pour agression sexuelle commis à l’encontre de Mme C. (qui était en réalité un viol correctionnalisé). Il est hors de question que le procureur général s’acharne sur la victime comme l’a fait le procureur de la République !

Le 15 février 2015, Mme C. nous contacte par l’intermédiaire de Christiana Baptiste, thérapeute à l’Espace Femmes de Dinan. Elle nous informe qu’elle est convoquée le 16 avril 2015 devant le Tribunal correctionnel d’Amiens, en qualité de partie civile. M.H., contre qui elle a déposé plainte pour viol en janvier 2012, est poursuivi par le procureur de la République pour….agressions sexuelles!

Elle n’avait plus eu de nouvelles de l’enquête depuis des mois, n’avait pas de copie de son dossier pénal et n’avait pas d’avocat.e.

Elle était paniquée.

A notre demande, Mme C. nous délivre le récit des violences sexuelles commises par M.H. Suite à un entretien téléphonique avec elle, nous l’aiguillons pour trouver un.e avocat.e et nous engageons à l’accompagner au tribunal.

Le viol dont elle a été victime

En août 2011, Mme C. est contrainte de loger dans un camping accompagnée de son fils de 8 ans, sa voiture étant immobilisée dans un garage. Pendant 3 jours, un voisin de parcelle, M.H., se montre omniprésent, il veut sans cesse discuter avec elle et son fils. Elle commence à avoir peur, notamment lorsqu’il lui demande si elle dort seule ou avec son fils.

Au milieu de la 3ème nuit, elle se réveille avec le poids de quelqu’un sur elle. M. H. est couché sur elle, il la maintient en lui mettant son bras sur le visage et lui ordonne de se taire, de ne pas crier. Il la viole.
Elle est tétanisée, dans la confusion du réveil et de la violence de M.H., elle ne parvient pas à analyser ce qu’il se passe. En outre, elle ne veut pas que son fils qui dort à côté soit témoin du viol de sa mère et tente de le préserver en ne criant pas fort.

M. H. finit par quitter la tente. En réalité le fils de Mme C. a tout entendu et est réveillé. Elle ne veut pas le laisser seul et ne se lave que le lendemain. Elle croise alors M. H. qui ose lui demander s’ils ont passé une bonne nuit. Elle change de camping.

Mme C. a déjà été victime de viols et d’agressions sexuelles entre ses 8 ans et ses 14 ans par un homme de sa famille. Elle avait déposé plainte mais il n’y a jamais eu de poursuites.

Elle a été victime d’un autre viol à l’âge de 18 ans pour lequel elle n’a pas porté plainte non plus. Elle a peu confiance en la justice.

Elle se décide finalement à déposer plainte contre M. H. en janvier 2012.

Le procès devant le Tribunal correctionnel d’Amiens le 16 avril 2015

Elle obtient un avocat commis d’office désigné par le bureau d’aide juridictionnelle, Me Daquo. Elle s’entretient avec lui par téléphone quelques jours avant le procès. Il a pris connaissance du dossier pénal et lui apprend que M. H. a reconnu le viol lors de l’enquête, ce qui laisse présager une audience sans grandes difficultés.

Le 16 avril, Françoise Dumont accompagne Mme C., extrêmement stressée et angoissée d’avoir à relater à nouveau le viol et très certainement les autres violences sexuelles dont elle a été victime au cours de sa vie, mais aussi parce qu’elle n’a jamais rencontré son avocat.

Nous lui avions expliqué le déroulement des débats, la manière dont il fallait s’adresser au tribunal, quel serait le rôle de chacun. Nous ne pouvions pas la préparer à ce qui l’attendait.

A l’entrée du tribunal, Mme C. se crispe en voyant l’agresseur arriver tranquillement en présence de deux hommes qui l’accompagnent. Elles rentrent précipitamment dans le tribunal à la recherche de son avocat. Elles apprennent qu’il a une autre audience à la même heure mais dans une autre salle, ce que Mme C. ne savait pas. Elles se rendent dans la salle d’audience et patientent.

La salle est vétuste, les murs blancs sont décrépis et ornementés de colonnes et de moulures bleues délavées. Les banquettes sont dévastées, les stores hors service, seule trace de modernité : un box sécurisé par des vitres pour les prévenus en détention provisoire qui restera vide ce jour-là.

Vers 9h20, l’audience est ouverte par trois magistrats. Les deux premières affaires sont renvoyées et la 3ème affaire débute.
A 10h15, Me Daquo leur fait signe de le rejoindre dans le couloir. Il exprime alors son pessimisme quant au déroulement du procès. Il les informe que le président qui siège ce jour-là « peut parfois être un peu brutal dans ses propos et qu’il est assez dubitatif ». L’avocate de M. H. l’a par ailleurs prévenu que M. H. ne reconnaissait plus le viol et feint de se souvenir à peine d’un baiser !
Il demande à Mme C. ce qu’elle attend du procès, elle exprime sa volonté d’être reconnue victime. Il les informe que sa plaidoirie sera axée sur la déqualification du viol en délit et qu’il demanderait 15000€ de dommages-intérêts. Mme C. lui demande qu’il sollicite le huis clos.

A 10h40, l’affaire de Mme C. commence. M. H. est appelé à la barre. Le président a accepté la demande de huis clos, bien que le procureur soit intervenu de manière sarcastique, ne comprenant pas l’intérêt alors qu’il n’y avait personne dans le public. Françoise Dumont de Prendre le droit a pu rester car elle accompagnait la victime.

Le président a présenté les faits en disant qu’il y avait « beaucoup de mystères dans cette affaire ».

M. H., interrogé sur ce qui lui était reproché, répondait dans un langage totalement incompréhensible, inaudible. Le président est donc passé directement à l’expertise psychologique qui décrit M. H. comme un homme immature et frustre, avec un niveau d’intelligence en dessous de la moyenne et des troubles dus à l’alcool.
Me Daquo est intervenu pour souligner qu’un viol sous alcool constitue une circonstance aggravante et non une excuse.

Le président signale au prévenu qu’il a reconnu lors de garde à vue avoir eu un « rapport sexuel » avec Mme C. Il confirme. Le président lit ensuite la plainte de Mme C. et s’adresse à elle pour qu’elle confirme sa déposition alors qu’elle n’est pas à la barre. En réalité, M. H., incompréhensible dans ses réponses, est très peu interrogé ; c’est Mme C. qui doit répondre à tout.

Finalement M. H. dément tout en bloc, parle juste d’un baiser et affirme avoir subi des pressions de la part des gendarmes pendant sa garde à vue. La magistrate assesseure lui rétorque qu’il donne beaucoup trop de détails dans son audition pour que ça puisse être faux, elle démontre ses incohérences et affirme qu’il ment.

Le président appelle ensuite Mme C. à la barre, il lui pose des questions très précises sur le viol. Mme C., déjà très éprouvée par toutes les confirmations qu’elle a dû donner alors qu’elle n’était pas encore à la barre, répond avec beaucoup de colère, elle pleure.
Elle n’arrive pas à répondre aux questions précises, elle s’attarde davantage sur le contexte, notamment les jours qui ont précédé le viol.
Le président insiste. Elle perd ses moyens, elle dit qu’elle est sincère, qu’elle ne ment pas, que c’est lui qui ment. Le président lui demande de répondre aux questions qu’il lui pose, lui rappelle que ce n’est pas elle qui est accusée et lui demande de se calmer un peu. Mme C. parvient à se détendre, elle continue de relater ce qui s’est réellement passé en décrivant tous les détails et les conséquences du traumatisme, elle parle des odeurs qui la hantent depuis le viol et des opérations qu’elle a subies suite à des infections génitales.

Le président la questionne également sur les autres viols commis par des hommes au cours de sa vie, décrits dans sa plainte.

Le procureur de la République se lève pour lui poser à son tour des questions. Très agressif, il lui demande :
– Pourquoi vous n’avez pas réagi ? Pourquoi vous n’avez pas crié ? Vous n’avez pas eu de réaction physique, vous êtes restée passive.
– Vous avez été victime plusieurs fois d’agressions sexuelles, vous savez ce que c’est, donc pourquoi vous n’avez pas porté plainte tout de suite ?
– Pourquoi vous avez attendu plusieurs heures avant d’aller vous laver ? Les femmes vont se laver en général immédiatement.
– Vous connaissez les procédures puisque vous avez déjà été victime et vous n’avez pas gardé de preuves, ni porter plainte tout de suite, vous pouvez accuser n’importe qui !

L’avocat de Mme C. a dû interrompre le procureur en lui rappelant qu’il avait de la chance d’être un homme et surtout qu’il était évident qu’il n’était pas une femme.

Françoise Dumont de Prendre le droit était tellement scandalisée et choquée par ce qu’elle entendait de la bouche du procureur qu’elle n’a pas pris en note les réponses de Mme C., si tant est qu’il lui ait laissé le temps de répondre à des questions qui n’en étaient pas.

Mme C. est revenue s’asseoir, totalement épuisée et abasourdie.

Me Daquo a commencé sa plaidoirie en disant que sa cliente avait toujours été constante et cohérente dans son récit ; que le viol avait été déqualifié en délit alors qu’il s’agissait bien d’un viol et que cette affaire aurait dû être présentée devant une Cour d’assises. Il rappelait que plus généralement, les procureurs renvoyaient les violeurs quasi systématiquement en correctionnelle. En tant qu’avocat, il encourage ses clientes à refuser les déqualifications et qu’en l’occurrence Mme C. n’avait pas eu le choix dans ce procès.

C’est au tour des réquisitions du procureur de la République.
Il a commencé par dire qu’il s’agissait d’un dossier « très complexe », « qu’il y a beaucoup de contradictions de la part de la victime ». Il a admis que le prévenu n’était pas très cohérent mais qu’il n’est pas impossible que la garde à vue l’ait mis sous pression.
« Il y a quand même eu « un rapport sexuel complet » entre deux personnes ».
Il a poursuivi sur le fait « qu’il était difficile de savoir ce qui est vrai ou faux » ; « que le dossier est lacunaire et qu’il n’y a aucune preuve » (on se demande bien pourquoi la plainte n’a pas été classée sans suite dans ce cas). « Qu’étant donné le niveau intellectuel de M. H., il pouvait dire tout et son contraire et qu’il n’avait aucune conscience de la notion de consentement ».

Il a terminé en ne comprenant pas pourquoi : « les femmes ne vont pas chez le médecin et ne portent pas plainte tout de suite! »

Avant de requérir la relaxe (!), il s’est adressé à Mme C. en lui disant : « Vous savez, M. H. pourrait porter plainte contre vous pour dénonciation calomnieuse ».

Forte des réquisitions du procureur, l’avocate de la défense a demandé la relaxe de son client.

Après 45 minutes de délibéré, et au grand soulagement de Mme C., le Tribunal a reconnu M. H. coupable d’agression sexuelle sur la personne de Mme C. et l’a condamné à 18 mois d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis, l’inscription au FIJAIS et à verser à Mme C. 2000€ de dommages-intérêts, somme tout à fait dérisoire.

Une semaine après cet odieux procès, M. H. a fait appel.

Mme C. vient de recevoir sa convocation. Elle doit se présenter le 25 mars 2016 devant la Cour d’appel d’Amiens.
Elle est tellement traumatisée par la dernière audience, qu’elle ne compte pour l’instant pas s’y rendre.
On la comprend que trop bien. Le procureur a eu une attitude exécrable mais assez cohérente avec le traitement dont font globalement l’objet les femmes victimes de violences sexuelles en France.

Déjà, le parquet a décidé de renvoyé M. H. devant le Tribunal correctionnel pour un viol (transformé comme par magie en agression sexuelle) qui aurait dû relever de la Cour d’Assises, sans avoir laissé l’opportunité à Mme C. d’y consentir ou de le refuser.

Puis, il s’est permis à l’audience d’affirmer qu’il y avait rien dans le dossier alors qu’ il a tout de même renvoyé M. H. devant le tribunal, notamment parce qu’il a avoué le viol lors de sa garde à vue… ce qui n’est pas rien !

Enfin, en passant par tous les stéréotypes les plus misogynes sur le comportement attendu d’une parfaite victime de viol, il a en réalité jugé la victime et non l’agresseur, suggérant au passage au prévenu qu’il pourrait faire condamner Mme C. en dénonciation calomnieuse !

Il a été plus globalement humiliant, méprisant et irrespectueux envers toutes les femmes victimes de violences sexuelles.

Nous avons dû expliquer à Mme C. que son absence à la Cour d’appel pourrait lui être préjudiciable car avec la seule version de M. H., il n’est pas exclu qu’il puisse obtenir la relaxe, ce qui ne manquerait pas d’achever Mme C.

Quoi qu’elle décide, nous serons présentes le 25 mars à Amiens et rendrons compte de la manière dont le parquet général et la Cour feront leur travail.

Françoise Dumont et Laure Ignace
Prendre le droit – Féministes pour un monde sans viol[s]*

Atelier sur le traitement pénal du consentement et des violences sexuelles

Prendre le Droit anime le 5 décembre, de 14h à 16h30 au Pôle associatif de la Marbaudais – rue de la Marbaudais (Bus n°5) une conférence-débat avec un atelier participatif, qui portera sur les enjeux juridiques du traitement pénal des violences sexuelles et la prise en compte de la notion de consentement dans le droit.
Cet atelier est ouvert aux femmes et aux lesbiennes.

Capacité maximum : 14 personnes. Merci de réserver au 06 12 65 87 68 ou sur prendreledroit@riseup.net

Cet atelier est soutenu par la Ville de Rennes dans le cadre des manifestations organisées pour la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.

 

 

CHANTAGE A LA CORRECTIONNALISATION : QUAND LA JUSTICE ACHÈVE LES FEMMES VICTIMES DE VIOL

Le 30 janvier 2014, sur nos conseils, Mme P. refuse1 la correctionnalisation des viols commis par son ex-mari à son encontre

Le 19 mars 2015, le juge d’instruction rend une ordonnance de correctionnalisation et de renvoi devant le Tribunal correctionnel

Que s’est-il donc passé entre temps ?

Depuis le début de l’année 2014, Prendre Le Droit intervient auprès de Mme P., victime pendant 22 ans de violences sexuelles, physiques et psychologiques commises par son mari. Elle a déposé plainte contre lui en 2011 pour viols et au moment où nous la rencontrons, l’instruction touche à sa fin après des aveux partiels du mari durant la confrontation.

L’intervention de Prendre Le Droit

Elle fait appel à nous car son avocate la harcèle depuis plusieurs semaines pour qu’elle accepte que sa procédure soit correctionnalisée, c’est à dire que son mari ne soit pas jugé par une Cour d’assises mais par un Tribunal correctionnel. Par un tour de passe-passe juridique, les viols, des crimes, seraient ainsi transformés en agressions sexuelles, donc en délits.

Mme P. ne parvenait pas à s’opposer franchement à son avocate sur ce point, cette dernière lui assénant qu’elle éviterait ainsi les Assises qui seraient une épreuve dure pour elle, qu’elle aurait plus de chance d’obtenir une condamnation du Tribunal correctionnel composé de juges professionnels et qu’il serait difficile de faire comprendre à des jurés (au peuple !) les ressorts du viol conjugal, encore « tabou » dans notre société. En quelque sorte, les arguments classiques en faveur de la correctionnalisation des viols.

Nous l’avons reçue en urgence. Lire la suite